Cinq organisations non gouvernementales (ONG), dont l'association française de juristes et d'avocats Sherpa, déposent cet après-midi une plainte contre deux multinationales, le négociant suisse en matières premières Glencore et la société canadienne d'exploitation minière First Quantum Minerals, dont elles accusent la filiale zambienne commune, Mopani Copper Mines, d'évasion fiscale.
"Les manipulations financières et comptables auxquelles se livre la Mopani Copper Mines pour se soustraire à l'impôt en Zambie violent les Principes directeurs de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à l'intention des multinationales, explique Maud Perdriel-Vaissière, déléguée générale de Sherpa. Aussi déposons-nous une plainte auprès des Points de contacts nationaux suisse et canadien chargés, dans ces deux pays qui ont adhéré aux Principes directeurs de l'OCDE, de s'assurer de leur respect."
Les principes violés
Selon le rapport d'audit des cabinets Grant Thornton et Econ Pövry, les entreprises suisse Glencore et canadienne First Quantum Minerals, actionnaires majoritaires de la société zambienne d'exploitation minière Mopani Copper Mines, auraient violé plusieurs des Principes directeurs de l'OCDE visant les multinationales, auxquels la Suisse et le Canada ont souscrit:
* "Les entreprises devraient tenir pleinement compte des politiques établies des pays dans lesquels elles exercent leurs activités et prendre en considération les points de vue des autres acteurs. A cet égard, les entreprises devraient:
1. Contribuer aux progrès économiques, sociaux et environnementaux en vue de réaliser un développement durable
2. S'abstenir de rechercher ou d'accepter des exemptions non prévues dans le dispositif législatif ou réglementaire [notamment en matière de fiscalité]."
* "Il est important que les entreprises contribuent aux finances publiques des pays d'accueil en acquittant ponctuellement les impôts dont elles sont redevables (...) Il s'agit notamment de communiquer aux autorités compétentes les informations nécessaires à la détermination correcte des impôts dont sont passibles leurs activités et de se conformer dans leurs pratiques de prix de transfert au principe de pleine concurrence."
Les comptes de la Mopani Copper Mines, l'un des principaux producteurs de cuivre et de cobalt en Zambie, ont été passés au crible par les cabinets Grant Thornton et Econ Pövry, à la demande du gouvernement zambien. L'audit réalisé en 2009 pointe plusieurs anomalies: des coûts d'exploitation surévalués; des volumes de production de cobalt inférieurs de moitié à ceux des autres producteurs de la même région; des prix de transfert à Glencore, principal acheteur du minerai, étonnamment bas.
Résultat: les recettes de la société auraient été minorées de plusieurs centaines de millions de dollars au cours de la période 2003-2008, ce qui aurait permis à d'alléger considérablement la facture fiscale acquittée auprès de l'Etat zambien. Un Etat dont les investisseurs étrangers n'ont pas à se plaindre, pourtant, puisqu'il leur offre un cadre législatif et fiscal particulièrement avantageux. En prime, le consortium Mopani a reçu, en 2005, un prêt de 48 millions d'euros de la Banque Européenne d'Investissement afin de contribuer au développement durable de la région...
La plainte déposée par les cinq ONG - outre Sherpa, le Center for Trade Policy and Development (Zambie), la Déclaration de Berne (Suisse), l'Entraide missionnaire (Canada) et Mining Watch Canada - est sans précédent: pour la première fois, la stratégie d'évitement de l'impôt mise en oeuvre par des multinationales est dénoncée auprès des Points de contact nationaux. "L'évasion fiscale de ces entreprises représente une hémorragie pire que la corruption dans les pays en voie de développement", affirme Maud Perdriel-Vaissière. Un manque à gagner évalué à plus de 400 milliards de dollars chaque année...